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25/26 – cri d’alarme #5

CRI D’ AL«ART»ME # 5

Et si l’on cessait de sacrifier ce qui nous relie ?

 

On les entend, les refrains de notre époque : faire plus avec moins, serrer les budgets, optimiser jusqu’au dernier souffle ce qui reste du service public.

 

On s’est habitués, insidieusement, à ce discours pervers qui fait passer l’art pour un caprice et la culture pour une dépense superflue.

 

À ce rythme, bientôt on demandera aux artistes de créer bénévolement (comme si ce n’était pas, en partie, déjà le cas !), aux écoles de faire cours sans enseignants, aux CPAS de réactiver socialement les gens sans leur donner les moyens d’exister autrement que par la survie…

 

Alors, soyons sérieux :

 

À quoi ressemble un pays qui serre les poings sur ses finances et les dents sur ses rêves ?
À quoi ressemble un gouvernement qui prétend protéger la population tout en lui retirant ce qui la rend vivante et égalitaire ?

 

Platon affirmait que la beauté conduit au ciel – non pour fuir la terre, mais pour y voir plus clair. Alors, comment comprendre que ce soit précisément la beauté, l’art, la culture, que l’on s’obstine aujourd’hui à malmener ? Comment expliquer que l’on coupe d’abord ce qui soigne, ce qui relie, ce qui sauve ?

 

Dostoïevski posait une question simple : la beauté sauvera-t-elle le monde ? À l’heure où les politiques d’austérité s’abattent comme des tempêtes sur les secteurs culturels (entre autres), osons retourner la question : le monde peut-il seulement tenir debout lorsqu’il se prive lui-même de ce qui le sauve ?

 

Car que nous dit notre réalité ? Des artistes précarisés, des institutions étranglées, des CPAS forcés d’abandonner la participation culturelle comme si elle n’était qu’un luxe. Alors demandons-le franchement : de quel droit prive-t-on les plus fragiles de la seule chose qui leur permet parfois de respirer ?
Peut-on vraiment parler d’égalité quand certains peuvent encore payer leur place de théâtre et que d’autres ne peuvent même plus rêver d’y entrer ?
À quoi ressemble une démocratie qui renonce à offrir l’accès à ce qui permet de comprendre le monde, de s’y situer, d’y reprendre place ?

 

« La participation culturelle, c’est un droit humain », rappelle-t-on.
Mais si nous le savons, pourquoi acceptons-nous qu’il soit méthodiquement démantelé ?

 

La suppression du subside Participation et Action Sociale du CPAS comme tant d’autres ne sont pas qu’une ligne budgétaire: elle est un choix de société.
À quoi ressemblera un pays où la culture des plus pauvres se résume à quelques animations résiduelles parce que « les besoins vitaux passent avant » ?
Et que devient une société qui oublie que se cultiver fait aussi partie du vital ?

 

Nous devrions, collectivement, poser la question qui fâche :
Qui gagne lorsque l’on affaiblit la culture ?
Qui profite d’un pays moins curieux, moins éclairé, moins capable de débattre ?
Qui a intérêt à ce que ne subsiste que le divertissement jetable, l’émotion instantanée, la distraction sans pensée ?

 

Regardons autour de nous :
Les guerres se multiplient.
Des patrimoines disparaissent sous les bombes, dans l’indifférence générale.
Des minorités sont effacées avec la même facilité que l’on supprime un chapitre dans un manuel.
Et nous ?
Nous coupons dans les budgets culturels comme si la beauté n’était pas elle aussi en train de disparaître.

 

Faut-il vraiment attendre qu’il ne reste plus rien pour comprendre ce que nous aurons perdu ?

 

La culture n’est pas un supplément d’âme.
Elle est une arme pacifique.
Elle est une école de liberté.
Elle est un droit fondamental.
Et plus encore : elle est un acte de résistance
Olivier Py le rappelle avec force : l’art n’est pas un divertissement accessoire, il est une confrontation avec le réel, une manière de reprendre langue avec soi-même. Alors comment supporter qu’on le réduise à une dépense facultative, à une variable d’ajustement ?
Comment accepter que notre époque, saturée de consommation et d’ultraconnexion, relègue l’essentiel derrière l’utile quand ce n’est pas le futile ?
Qu’attendons-nous pour affirmer haut et fort que l’utile sans le sensible n’est qu’une mécanique ?

 

Et puis il y a les menaces qui s’accumulent : conflits armés, destructions culturelles, dérives autoritaires, changements climatiques, répressions minoritaires.
Si la culture est une force de paix, d’inclusion, de résilience… pourquoi la laissons-nous devenir un champ de ruines ?
Faut-il vraiment attendre de perdre une langue, un rite, un théâtre, un musée, un geste artisanal pour comprendre qu’ils étaient essentiels ?
Ce que la violence détruit, la culture permet parfois de le reconstruire.
Alors pourquoi s’acharne-t-on à fragiliser l’un des rares outils capables de réparer notre monde ?
La technologie (IA, réalité augmentée, cartographies sensibles), aujourd’hui, offre des possibilités nouvelles pour préserver ce qui disparaît. Mais à quoi serviront ces prouesses si nous renonçons à transmettre, partager, faire vivre ce qu’elles tentent de sauvegarder ?

 

La vraie question est là :
Voulons-nous encore d’une société qui donne à chacun la possibilité de penser, de rêver, d’imaginer, de créer ?
Ou allons-nous accepter sans broncher de devenir une société amputée de sa part la plus humaine ?
Au fond, les seules interrogations qui vaillent, les seules qui devraient nous réveiller, sont peut-être celles-ci :
Que devient une nation qui renonce à la beauté et à la culture ?
Avons-nous vraiment les moyens, humains, sociaux, politiques, de vivre sans elles ?
Allons-nous continuer à accepter que l’on démantèle ce qui nous relie ?
Allons-nous consentir à devenir une société amputée de sa part sensible ?
Allons-nous laisser mourir ce qui, précisément, nous rend humains ?

 

 

Florence Cartelet-Avon
Pour l’équipe du CCM

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